Les Torimono d'Akun

LA MONTAGNE DE LA COURGE :

"Mon père me disait toujours qu'il ne tissait que la vérité.
Voyez-vous ces montagnes là-bas ? Loin derrière l'horizon ? Nous leur donnons aujourd'hui un nom tout à fait différent de ce qui fut le leur."

Ce que je vais vous raconter maintenant arriva il y a bien des années, si longtemps que plus personne ne s'en souvient. On dit que jadis, une plaine semblable à toute autre s'étendait à la place de cette montagne. Et dans un village de cette contrée vivait un jeune homme du nom de Tetsuo.
C'était un jeune garçon travailleur, au coeur simple et bon. Son père avait eu jadis un petit bout de rizière, mais un fermier l'en avait dépossédé. Testsuo vivait donc de son travail. Il était vraiment si pauvre, n'ayant que sa chaumière et ses mains, qu'on l'avait surnommé Dénué.

Dénué cependant, ne souffrait pas de sa pauvreté. Lorsqu'il avait le coeur gai, et il avait souvent le coeur gai, il jouait du pipeau qu'il s'était fabriqué lui-même dans une branche de bambou. Un soir qu'il s'était endormi d'un sommeil très lourd, sa porte s'ouvrit et un vieillard s'approcha de lui et lui dit :
- "Je t'ai apporté une flûte enchantée, Dénué. Essaie de t'en servir du mieux que tu pourras."
Le matin, croyant avoir rêvé, il fut surpris de trouver cette belle flûte de bambou. Il la porta aussitôt à sa bouche et siffla un air joyeux. La voix claire de la flûte lui réchauffa le coeur et il se sentit tout joyeux et léger.

Devant la chaumière de Dénué s'étendait la surface étincelante d'un étang bordé de saules. Un soir, Dénué y aperçut des enfants qui, jouant au bord de l'eau, y avaient pris une carpe qui se tortillait en happant désespérément l'air.
- "Laissez-la ! cria Dénué.
- Mais, protestèrent les garçons, nous sommes si contents de l'avoir attrapée. A moins, à moins, ajoutèrent-ils, que tu nous joues un air de flûte."
Dénué rejeta le poisson à l'eau et joua de sa flûte, en tirant des sons si joyeux que les enfants se mirent à danser.

Le lendemain matin, Dénué, comme à l'habitude, alla se laver dans l'étang. Soudain, les eaux se troublèrent et la carpe qu'il avait libérée la veille sortit la tête, pour cracher une graine de courge.
Dénué, ravi, alla planter la graine. Peu de temps après, des feuilles sortirent de terre, puis une fleur, puis la fleur fana, et la courge commença à grossir. Lorsque après quelques mois, la courge fut mûre, elle était si grosse que personne n'en avait jamais vu de pareille.

Un soir qu'il arrosait la plante, il crut voir sortir de la courge l'ombre d'une jeune fille. Il se frotta les yeux, mais elle ne disparut pas.
- "De quoi as-tu peur ? dit la jeune fille.
- D'où viens-tu, oh fée ? bredouilla Dénué.
- Je ne suis pas fée, je suis née d'une graine de courge. Je te remercie de m'avoir si bien soignée. Si tu veux, je deviendrai ta femme."
Ils se marièrent et vécurent heureux dans la chaumière. Or, il advint qu'un serviteur du seigneur d'alors traversa le village. Il aperçut la jeune fille, et de retour au palais, en parla si bien à son seigneur, que celui-ci ordonna aussitôt qu'on la ramenât.
Dénué faillit en perdre la raison, mais la jeune fille sourit et dit :
- "Ne pleure pas, ne crains rien ! Donne-moi un morceau de l'épluchure de ma courge et dans sept fois sept jours, viens me trouver dans le château impérial."

Le coeur de l'empereur se mit à battre plus fort lorsqu'il vit la jeune fille.
- "Resteras-tu avec moi ?
- Je reste, mais je n'aime pas votre palais. J'en connais un plus beau : à sept fois sept jours de marche vers l'Est, se trouve le palais de cristal construit par l'Empereur du ciel pour le fils du Ciel. Qui n'est pas un vrai fils du Ciel ne peut voir ce palais."
Le seigneur, prit par la curiosité, se mit en route. Alors, quand sept fois sept jours se furent écoulés, la jeune fille jeta sur le sol l'épluchure de courge et murmura "Change-toi en palais de cristal".
Aussitôt devant le seigneur éblouit se dressa un palais de cristal dans lequel il pénétra suivit de toute sa suite. Et soudain, on eut dit que la terre s'ouvrait sous leur pieds, et le palais disparut dans le sol avec le seigneur et toute sa suite, formant une nouvelle montagne.

Alors, elle alla rejoindre Dénué, et ils rentrèrent tous deux au village où ils vécurent très heureux. Et depuis lors, on ne désigna plus la montagne au dessus des collines de l'est que du nom de "Montagne de la Courge".

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LES FRUITS BIEN MURS :

"L'histoire que je vais vous raconter me semble drôle, mais elle ne fera peut-être pas rire les escrocs et les malhonnêtes qui nous entourent, comme c'est souvent le cas avec les histoires légères...

Il y avait un homme qui était si bon jardinier que toutes les années, il parvenait à avoir des fruits bien mûrs bien avant tous les autres paysans de la région.

Un jour, alors que comme tous les ans, ses fruits étaient gros et sucrés un mois avant la saison, il dit à sa femme :

- "J'ai entendu dire que notre seigneur était gourmand de fruits bien beaux et juteux... Je vais lui en apporter une pleine brouette, et je suis sûr d'avoir une belle récompense."

Voilà donc les deux époux partis pour le palais de leur seigneur. Arrivés à la porte, ils sont arrêtés par un garde qui refuse de les laisser entrer.

- "Mais je suis sûr que le seigneur aimera goûter à mes fruits bien beaux et bien sucrés !
- Oh, j'en suis sûr aussi, mais je ne vais pas te laisser entrer.
- Je crois que notre seigneur me récompensera bien, alors je te donnerai le tiers de ce qu'il me donnera."

Et ainsi, il obtint le droit de passer. Mais, arrivé à l'escalier qui le menerait à la salle du trône, le voilà arrêté par un conseiller peu scrupuleux. Il refuse de lui laisser grimper les escaliers.

- "Mais je suis sûr que le seigneur aimera goûter à mes fruits bien beaux et bien sucrés !
- Oh, j'en suis sûr aussi, mais je ne vais pas te laisser entrer.
- Je crois que notre seigneur me récompensera bien, alors je te donnerai le tiers de ce qu'il me donnera."

Et le voilà qui gravit les escaliers somptueux. Puis, alors qu'il s'apprête à passer la porte, le portier l'arrête.

- "On ne passe pas !"

Celui-là se montre plus intraitable encore, et le fermier est obligé de céder encore un tiers de ce qu'il gagnera.

Enfin, le seigneur peut goûter aux fruits sucrés et juteux du fermier.

- "Quel délice ! C'est un miracle que tu en aies de si bons à une telle époque de l'année ! Que veux-tu pour ta récompense ?
- Oh, seigneur, je voudrais soixante coups de bâtons !
- Quelle est cette mauvaise farce ?"

Et le fermier de raconter les promesses qu'il a faites aux fonctionnaires corrompus et de mauvaise volonté qu'il avait rencontré jusque-là. Le seigneur les fit donc mander, mais au lieu de les rouer de coups, il se contenta de leur laver la tête, et de les réprimander.

Puis s'adressant au fermier:

- "Je ne puis te donner de récompense, car tu serais alors forcé de tout donner à ces trois là. Mais je vais de ce pas demander à mon chancelier de remettre soixante Koku à ta femme pour la remercier de prendre soin de toi !"

Ce qui fut fait ! "

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LE VIEIL ERABLE :

"Un jour, ou peut-être pas, Tetsu tomba amoureux d'une belle et fraîche jeune fille que l'on nommait Perle. Ils se marièrent et vécurent quelques temps chez la mère de Tetsu.
Mais la mère étant jalouse de Perle, lui rendait la vie impossible. Rien de ce qu'elle faisait n'était assez bien. Elle devait faire trois fois le ménage avant de se reposer, et lorsqu'elle préparait un plat, il était trop chaud, puis trop froid le lendemain, etc, etc...

Perle dit à Tetsu :
- "Nous ne pouvons pas continuer à vivre ici.
- Alors demain, nous partirons."

Le lendemain, ils prirent deux chevaux et partirent vers les montagnes. Ils passèrent au travers d'une forêt d'érables avant de s'arrêter dans une clairière au milieu de laquelle coulait une fontaine. La lumière du soleil semblait rester prisonnière de l'eau rouge de la fontaine, et ils restèrent tous deux à la contempler avant que Perle, assoiffée, boive un peu du liquide délicieusement frais.
Puis ils décidèrent de remettre en route. Mais alors qu'ils cherchaient leurs chevaux, ils trouvèrent à leur place deux splendides destriers. Ils montèrent sur leur dos, et reprirent la route. Alors que le soir tombait, ils trouvèrent une jolie chaumière, à la porte de laquelle Tetsu frappa.
Une gentille vieille femme leur ouvrit. Ils restèrent là plusieurs jours, et devinrent si amis avec la femme que bientôt elle les considéra comme ses propres enfants.
Un jour, ils décidèrent de lui raconter leur chevauchée, et l'étrange substitution de chevaux.

- "Hélas ! Tu as bu à l'eau de la fontaine ! Tu ne pouvais pas savoir, mais à présent votre amour est condamné ! Tu as bu l'eau de la fontaine de l'Erable... L'eau de cette source vient des racines du plus vieil érable de la forêt, et chaque année, au début de l'automne, l'esprit de l'arbre se réveille, prenant la forme d'un homme au visage rouge, il trouve la plus belle jeune fille de la région, l'enlève et se marie avec elle. Puis lorsque vient l'hiver, les deux amants deviennent deux érables aux feuilles bien rouges..."

Tetsu et Perle étaient bouleversés par l'histoire de la vieille, mais ils décidèrent de rester à ses côtés, et de voir ce qu'il se passerait. Le premier jour de l'automne, ils se sentirent rassurés, car rien ne se passa. Mais la nuit venue, une feuille d'érable voleta dans la direction de Perle, et à son contact, se changea en un homme à la face rouge qui dit :

- "A présent tu es à moi, et rien ne pourra te libérer." Aussitôt, ils disparurent tous deux.

Tetsu, ne voulant pas laisser le destin lui voler son amour, monta sur son destrier, et se lança en direction des montagnes.
Mais arrivé à la forêt, il commença à désespérer :
- "Comment, dans ces montagnes, vais-je les retrouver ?"
Voulant mieux voir les environs, il dit au cheval : "Grimpe sur la plus haute montagne." Et d'un bond, le cheval grimpa sur la plus haute montagne.

Pendant ce temps, Perle pleurait à côté de Face-Rouge. "Je ne veux pas rester avec toi !
- Tu n'as pas le choix. Tu as bu de l'eau de ma fontaine.
- Tetsu va nous retrouver, et je partirai avec lui.
- Ton amant ne pourra pas te retrouver. Mais s'il devait arriver jusque dans cette grotte, je te libèrerais. "

A ce moment là, au travers de l'entrée de la grotte, il vit Tetsu arriver sur son destrier. Pris de rage, il ôta sa ceinture de sa taille et la jeta au dehors. Dès qu'elle eut touché le sol, elle se transforma en Dragon.

Tetsu et le cheval se jetèrent dans la gueule du Dragon, allèrent jusque dans son estomac, et là, Tetsu trancha les parois de l'organe afin de ressortir. En regardant derrière lui, il ne vit qu'une ceinture de cuir.

Face-Rouge, voyant que son plan allait échouer fit un geste en direction de Perle, puis en direction de deux coussins.
Perle se trouva figée comme une statue, alors que les coussins prenaient exactement sa forme.

Lorsque Tetsu entra dans la grotte, il vit Face-Rouge entouré de trois Perles, toutes identiques. Mais Perle, voyant son aimé, fut prise d'un tel chagrin que ses yeux se remplirent de larmes. Tetsu avança vers elle, et lui caressa le visage.

- "Tu vois, Face-rouge, je reconnaitrais Perle entre mille ! Et je vais la ramener chez moi !"

Mais Perle pesait à présent le poid d'une statue de pierre. Il eut beaucoup de mal à la charger sur le cheval.
Il se remit en route, mais il n'était plus question de galoper, car le cheval était trop chargé.

Mais Face-Rouge se souvint de sa promesse, et agita les feuilles des arbres de la Forêt d'Erable. La rosée vint mouiller Perle, qui se réveilla soudain.

Ils rentrèrent chez la Grand-Mère, et vécurent très heureux.

Quant à Face-Rouge, on n'entendit plus jamais parler de lui. "

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LE CHOIX DE TOGUN :

" Vérité, mensonge, traîtrise et confiance, mes paroles se fondent dans un mélange de sentiments et d'émotions que rien ne vient troubler. Lorsque mon histoire sera contée - histoire vraie ? Conte à dormir debout ? Mais d'abord, les mots doivent se mêler, former le Verbe, faire surgir l'histoire. "

C'était il y a peu de temps - bien peu de temps, en vérité. Sur les terres d'un seigneur puissant avait eu lieu une guerre terrible qui avait poussé le seigneur et deux de ses plus fidèles conseillers à quitter leur palais afin de préparer une contre offensive. Le premier conseiller était un des amis de mon père. Il s'appelait Togun, alors que le second conseiller se faisait appeler Matsuo.

Tous deux avaient rejoint le seigneur alors qu'il n'était que le fils d'un autre seigneur - titre certes prestigieux, mais qui ne laissait en rien augurer du grand destin de cet homme et de celui de ceux qui le suivraient. A lui seul, il recréa l'unité sur son domaine, et apporta la richesse et le bonheur sur ses terres. Cette opulence dura vingt-cinq années. Togun et Matsuo avaient peu à peu pris une grande place dans la vie du seigneur, et se plaisaient à rivaliser de finesse d'esprit, à faire jouer l'agilité de leur langue pour détendre leur maître.

Samouraï et conteurs, ministres et amis, ils étaient tout cela.

Puis au bout de vingt-cinq ans, la guerre éclata. D'abord, le Seigneur était persuadé de vaincre. Il rassembla ses armées et repoussa l'ennemi. Mais les armées adverses semblaient se multiplier, encore et encore, jusqu'à ne former qu'un essaim de bourdons, fendant les défenses du seigneur sans difficultés.

Le seigneur et ses deux conseillers durent fuir. Togun tentait de rassurer son maître, lui racontant les histoires de guerres semblant perdues d'avance et qui avaient par la suite été remportées, mais Matsuo avait l'air sombre, de moins en moins communicatif. Un soir, il disparut, semant dans le coeur de son seigneur le plus grand désespoir, pour ne revenir que deux jours plus tard. Il avait, disait-il rassemblé assez de paysans et de guerriers pour reprendre le palais.

Dans la soirée, Matsuo et Togun se retrouvèrent isolés dans une des pièces de la cabane qui leur servait de refuge.

N'y tenant plus, Togun demanda à Matsuo ce qui le rendait si sombre. Matsuo eut un sourire amer et cruel, et déclara qu'il avait honte de son seigneur.
- "Pourquoi ? Demanda Togun.
- Parce qu'il a fui du Palais plutôt que faire front.
- C'était sa seule chance de survie, et la seule chance qu'il avait de sauvegarder son peuple et ses terres.
- Il aurait dû sauvegarder son honneur, et le notre, en se faisant Seppuku.
- Cela aurait condamné notre peuple et nos terres au joug du Tyran qui nous envahit.
- Quelle différence ? Tout est perdu."

Togun était très ébranlé. Il avait cru que Matsuo aurait repris espoir après avoir rassemblé toutes ces troupes... Et soudain tout devint clair.

- "Tu n'as pas trouvé de troupes ?
- Non.
- Alors, qu'as-tu fait pendant ces deux jours ?
- Peu importe."

Togun voulut aller prévenir son seigneur immédiatement, mais voyant le regard désespéré de son ami, il décida de lui accorder un délai. Le seigneur, ne sachant rien de l'absence des troupes promises, préparait l'assaut, et le fixa pour le surlendemain. Togun voulait persuader Matsuo de dire la vérité au seigneur, mais chaque fois, il se heurtait au silence de son ami.
La veille de l'assaut, ils entendirent des bruits à l'extérieur. Togun voulut aller prévenir son maître, mais Matsuo se tenait devant lui, un Katana à la main. Avant qu'il réagisse, sa tête était déjà séparée de son corps. Il eut à peine le temps de voir quelques démons sortir de la cabane, emportant de force un seigneur vaincu.

"Comment, me direz-vous, a-t-il pu raconter cette histoire à mon père ? Son âme n'a jamais trouvé le repos. Il continue de hanter l'endroit où son ami l'assassina lâchement, et c'est pendant un de ses voyages que mon père rencontra son fantôme. Je ne doute pas qu'à l'heure qu'il est, il continue à lutter contre les démons, et sur son propre plan, contre le Premier et l'Ombre eux-mêmes."

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LA CEINTURE DE BROCART :

Il n'y a pas très longtemps, du temps de mon arrière arrière grand-père, vivaient dans une ville deux hommes du nom de Haikun et Iki.

Ils étaient amis à la vie à la mort. Mais il advint, comme il est coutume en ce monde, que la vie passât et que la mort frappât au hasard. Et il advint que Haikun tomba soudain malade et passa bientôt de vie à trépas. Son ami Iki le pleura, et ses fils, ses filles, et tous allaient sur sa tombe chaque jour pour brûler de l'encens. Et à force d'encens, le maître même des enfers se laissa fléchir, et fit de Haikun le Dieu Protecteur de la ville. Et voilà comment Haikun entra dans le temple.

Puis le temps passa, le jour blanc succéda à la sombre nuit. Et le jour vint où Iki à son tour quitta ce mode. Débarrassé de son apparence terrestre, Iki s'élança aussitôt vers le temple du ciel. Quelle joie de retrouver un ami après si longtemps.

Mais ne croyez pas qu'après la mort on en ait fini avec toutes ses peines, et après que Iki avait passé bien des années chez son ami, Haikun lui dit :
- "Mon cher frère, tu es maintenant resté chez moi assez longtemps, il va falloir songer à repartir sur la Terre.
- Puisque tu penses que le moment est venu, eh bien, je m'en vais. Mais ne pourrais-tu pas, avec toutes tes relations, user de ton pouvoir pour me renvoyer sous quelque meilleure forme sur la terre ?
- Bien sûr, cela va de soi. Dis moi seulement en quoi tu aimerais te réincarner. J'exaucerai tes désirs.
- Eh bien, j'aimerais que tu remplisses quatre souhaits. D'abord, je voudrais vivre toute ma vie dans les montagnes. Ensuite, je voudrais avoir une famille très nombreuse, troisièmement trouver une femme bonne et jolie, et enfin, que mon père soit un haut fonctionnaire et que par conséquent je devienne moi aussi une personnalité.
- Il me semble que tu es bien gourmand. Jamais je ne pourrais réaliser tout cela à la fois !
- Soit, si tu ne peux pas faire tout cela, laisse-moi au moins pénétrer dans ton trésor. Je pourrais y choisir un habit à mon goût et, selon l'habit que je choisirai, tu me réincarneras dans la peau de son propriétaire.
- Cela, c'est possible !" acquiesça Haikun en ouvrant toutes grandes les portes de son trésor.

Quelle garde-robe ! Il y avait là des habits d'une blancheur étincelante, des habits rose nacré, d'autres turquoise comme des pierres marines, d'autres transparents et ornés de carreaux ou de rayures brodées de perles, mais il y avait aussi des haillons et des habits tout rapiécés.
Iki fouillait et refouillait la garde-robe. "Voilà mon affaire ! Ah non, celui-ci est encore mieux ! A moins que celui-là..." Et il reposait les habits les uns après les autres quand à la fin, il sortit un habit tout luisant et scintillant.
- "Aucun doute, c'est celui-ci que je veux !" déclara-t-il en s'apercevant que l'habit comportait encore une merveilleuse ceinture de brocart transparent.
- "C'est sûrement une ceinture d'empereur !" se dit Iki. Profitant d'un instant d'inattention du Dieu protecteur et de peur que son ami ne changeât d'avis, Iki se saisit de l'habit convoité, l'enfila en toute hâte et quitta précipitamment le temple.
Il se sauva si vite qu'on l'eut cru menacé par le feu. Il traversa comme une flèche des champs et des forêts et arriva enfin, tout essouflé et assoiffé près d'une fontaine.

- "Il faut que je voie de quoi j'ai l'air", songea-t-il en se penchant au dessus de l'eau claire.
Et il resta pétrifié d'horreur. "C'est impossible" se dit Iki avec effroi. Et il pencha la tête pour se regarder une nouvelle fois. Le reflet en face de lui pencha la tête du même côté. Il cligna de l'oeil gauche, le reflet cligna son oeil droit.
C'était donc bien vrai. Iki, consterné et anéanti par cette découverte, soupira.
Il tourna alors la tête pour contempler son corps.
Et ce n'est qu'à ce moment qu'il vit son corps, lisse et étincelant, sans bras ni jambe, son long corps de serpent parcouru en son milieu par une rayure claire semblable à une ceinture de brocart.

Si vous rencontrez un jour dans la forêt un serpent rayé tout le long de son corps d'une ceinture de brocart, rappelez vous le malheureux Iki et ses souhaits déraisonnables..."

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LES ERES DE LEGENDES :

"Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je sens comme une tension autour de nous. Comme si une nouvelle ère de légendes commençait. Je ne vous ai pas parlé des ères de légendes ?

Elles sont au nombre de trois. L'ère de la Peur est la première, l'ère du Dragon est la seconde, et la troisième est l'ère du Katana.

Qu'y a-t-il de commun entre ces trois ères ? Un ennemi terrible contre lequel se liguent tous les héros d'un monde. Beaucoup, beaucoup de morts, de sacrifices nobles, de trahisons.
Certaines ères ont duré plusieurs siècles. Espérons que celle ci ne dure pas autant...

Je ne puis vous conter les évènements des ères par le menu, car ce ne sont que des contes autour d'un thème commun.
Par contre, je puis vous raconter les évènements ponctuels qui décidèrent de l'issue de chaque ère..."

L'ERE DE LA PEUR :

"Yoshi se promenait dans la forêt toute proche de son village lorsqu'il entendit un bruit inquiétant dans un bosquet à sa droite. Il voulut aller voir.

Personne ne le vit plus jamais.

Taika, sa mère, le chercha longtemps. Elle refit de nombreuses fois le chemin qu'il avait dû prendre. Mais elle ne trouvait aucune trace de son fils.
Pourtant, elle perçut comme un son de flûte près d'elle. Elle voulut aller dans sa direction, mais le son s'éloignait chaque fois qu'elle faisait un pas vers lui.

Finalement, elle arriva dans une grotte, près de laquelle coulait l'eau transparente d'une source souterraine. Un rideau de végétation assurait fraîcheur et tranquillité à ce lieu.
Elle pénétra la caverne, et s'assit sur un rocher, pour pleurer. La flûte avait cessé de jouer. Une main se posa sur son épaule, la faisant sursauter.

- "N'aie pas peur, Taika," lui dit une femme d'une beauté extrême, vêtue comme une princesse, mais dégageant une sensation de paix et d'harmonie surnaturelles.
- "Je sais que ton fils a disparu, et je sais que tu sera bientôt mère d'un autre enfant. Il faudra que tu le donnes à une famille de Samuraï. Ils l'éduqueront, et lui enseigneront l'art des armes. Ils le nommeront Kay, et lorsque le moment sera venu, il dirigera les armées de la lumière contre celles des ténèbres. Fais-moi confiance, et rentre chez toi."

Taika rentra chez elle, étrangement rassurée. Elle eut bientôt un autre enfant, qu'elle donna à une famille de Samouraï.

Pendant ce temps, les animaux désertaient la région, de nombreux villageois disparaissaient, et le temps devenait de plus en plus maussade.

Ainsi commença l'Ere de la Peur."

Debout, Akun reprend son souffle et clame :
"Kay était devenu un jeune homme bien fait, aussi bien d'âme que de corps. Il avait pris l'habitude de converser de longues heures avec sa mère, après l'entraînement terrible que lui imposait son père.

Tous ceux qui le connaissaient pensaient qu'il était le plus charmant des jeunes hommes, et qu'il ferait sans doute le meilleur combattant de son époque, tant sa lame et son esprit travaillaient de concert.

Il passait parfois des après-midi entières dans la forêt, à réfléchir et à écouter. Un jour qu'il était profondément plongé dans une de ses réflexions, il fut surpris par un craquement de branches derrière lui.

Sursautant, il se retourna. Un homme entièrement vêtu de noir, barbu, le corps couvert de poils, faisant plus penser à une bête qu'à un être humain, se tenait là, silencieux.

A peine remit de sa surprise, Kay se dressa, et sortit son Katana.

- "Qui es-tu, homme ?
- Je ne suis personne. Je me dresse au coeur de la méditation des hommes comme une ombre autour de laquelle tout gravite. On évite de me rencontrer tout en pensant toujours à moi. Je suis la Peur qui existe en votre coeur."

Comprenant que rien ne pourrait le protéger d'une telle créature, il rentra son arme dans son fourreau. Ensuite, il mit le genou à terre. Mais il n'y avait pas trace de peur en lui.

L'homme tourna le dos, et partit en disant :
- "Ce n'est pas ainsi que terrasse la Peur. Mais notre jour à tous deux viendra, car nous sommes promis à un avenir glorieux, mon ami. Glorieux."

Et il disparut."

Akun esquisse un sourire diabolique, et se remet à sa table.

LA CLEF DE RIEN :

"Un petit garçon vivait chez sa grand mère. C'était une femme dure, souvent sévère. Lui était un petit garçon sensible, mais qui avait du mal à manifester ses émotions.

Il n'avait pas de trésor, pas de secret. Mais autour du cou, passée dans un fil de cuir, il gardait une clef, à laquelle il tenait plus que tout. Ses parents étaient partis alors qu'il était tout petit. Ils étaient montés dans un bateau qui devait rejoindre le continent qu'avait quitté Shinkatsu bien des siècles auparavant. Le bateau n'était jamais revenu, mais il avait cette petite clef.
Une clef qui n'ouvrait rien, qui ne servait à rien, qui ne voulait rien dire, mais que lui avait donné sa mère avant de disparaître.

La grand-mère semblait toujours guetter le moment où il oublierait cette clef, le moment où elle pourrait s'en emparer. Elle enviait le petit garçon d'avoir cette petite clef, cette clef de rien, celle qui ne servait à rien.
Mais le petit garçon se méfiait, il ne faisait pas confiance à la vieille femme, il la craignait, il l'esquivait, il la fuyait. Et la nuit, il l'attendait.

Ce soir là, un gros orage éclata. Lorsqu'il entendit la mauvais femme monter, il éclata en sanglot. Il se leva, se précipita vers la fenêtre, et sortit en courant. Sous la pluie, poussé par le vent, guidé par la lumière jetée là par les éclairs, il alla jusqu'aux falaises où se jetaient les vagues furieuses de la mer.
Il s'approcha du bord, encore, encore un peu plus, puis s'arrêta, regarda la mer, regarda le ciel, et pendant que coulaient ses larmes, il s'adressa à la mer.

"Au fond de toi, je le sais, reposent mes parents. Ils sont là, enfermés sous ta masse, prisonniers de tes flots. Tu me les a volés, tu me les a pris.
Mais je ne t'en veux pas. Je veux que tu prennes soin du souvenir de mes parents, je veux que tu les gardes en toi, car un jour, je les rejoindrai.
Je te donne cette clef. Garde-la pour moi, car un jour, tu devras me la rendre."

Puis, alors que ses larmes et la pluie continuaient de couler, alors que le ciel tonnait, il jeta la clef vers la mer.

Mais dès que la clef eut touché la mer, l'orage cessa. Plus aucun bruit, que le doux murmure de la mer, ne pouvait être entendu. Et dans cette tranquillité, la mer s'ouvrit.

Et de la mer surgit une île. Et cette île invita le jeune garçon à venir sur elle. Le garçon mit le pied sur l'île, alors que sa grand-mère surgissait de la maison.

Plus jamais on ne vit le jeune garçon."


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